Beatus ille by Munoz Molina

Beatus ille by Munoz Molina

Auteur:Munoz Molina
La langue: fra
Format: epub
Publié: 2016-03-21T00:00:00+00:00


J’entends sa voix ce soir-là, le rire barbare d’Orlando, je vois ses yeux noyés de lucidité et de cruauté, le profil de page comme on en voit sur les fresques du Quattrocento que montrait Santiago, absent et docile près de lui, la tendresse indifférente avec laquelle il laissait Orlando lui caresser un genou ou une main posée de façon propice au bord du divan. J’entends des voix, je vois des visages, mais il n’y a rien derrière eux qui me permette de les fixer dans une pièce ou dans un paysage, rien d’autre qu’un rideau sombre, peut-être un objet qu’ils touchent ou brandissent comme un signe pour que celui qui les regarderait bien des années après puisse les reconnaître. Une nuit et un jour et l’avant-dernière nuit de la vie de Mariana, images brisées, flashes, paroles qui flottaient un instant dans l’air après avoir été prononcées, comme la fumée des cigarettes, comme l’indolence qui me faisait rester couché sur le lit de ma chambre ou me balancer doucement sur la balançoire du jardin, dans l’intention impudique que Mariana vînt me demander pourquoi j’étais seul, pourquoi j’avais cet air si triste et pourquoi je fuyais les autres, et elle-même. Calé dans un fauteuil, près de la cheminée, je m’enivrais avec un soin tranquille et sale en écoutant Médina, qui nous expliquait quelque chose au sujet de l’espion qui avait été lynché quelques heures plus tôt place du Général-Orduna, quand Manuel entra dans la bibliothèque et Médina alors se tut – ses derniers mots avaient été un prénom et un nom, Victor ou peut-être Hector Vera, ou Vega – parce que Mariana s’était levée pour prendre Manuel dans ses bras, et elle l’embrassait maintenant sur la bouche, devant nous tous, comme si elle nous défiait, devant Utrera, Médina, Amalia, qui venait d’entrer avec un plateau de bouteilles de vin et d’amuse-gueules, et qui restait plantée au beau milieu de la bibliothèque. Devant moi, devant Santiago et Orlando, qui but une gorgée en levant son verre comme un signe de connivence ou un toast pervers uniquement conçu pour que je le perçoive.

Orlando, masque du rire, dure voix d’accusation et de présage. Quand le lendemain matin nous descendîmes tous à la ferme dans la voiture noire pour le repas de noces, Orlando, possédé par la ferveur de la lumière qui l’avait exalté dès son arrivée à Magina, prit son carton et ses crayons et se mit à dessiner sans trêve des choses qu’il ne permit de voir à personne d’autre qu’à Santiago et à Mariana, mais il ne semblait pas s’intéresser au paysage qui s’étendait devant lui, autour de la colline où s’élève la maison. Il était assis sous les amandiers, son carton ouvert sur ses genoux, son foulard rouge et noir humide de sueur autour du cou, et quand il levait les yeux de son papier et restait un moment à regarder les oliviers ou le fleuve, ou la ligne lointaine et brune des toits de Magina, c’était comme s’il ne voyait pas



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